Jackie Mittoo

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Jackie Mitto est un organiste exceptionnel, qui a su donner au clavier toute sa dimension dans la musique jamaïcaine; et par-là même, qui a su dessiner ce qui devint le reggae. Mais cet homme n'est pas qu'un musicien, il est aussi arrangeur, créateur, et il a composé, joué ou dirigé, la plupart des grandes compositions du Studio One. Son nom n'est pas très connu, et pourtant, des années 60 à la fin des années 80, ila porté le reggae et sa famille, il a sculpté ce qui est actuellement devenu une des musiques les plus populaires du monde.

 

Jackie voit le jour le 3 mars 1948,à Brown's Town, dans la paroisse de Saint Ann (comme nombre de stars du reggae d'ailleurs).

Né dans une famille de mélomanes, il est entouré d'instruments de musique dès son plus jeune âge, et plus particulièrement d'un piano qu'il découvre auprès de sa grand-mère qui l'enseigne.

A 4 ans, Jackie tient déjà place devant le clavier, et se lance dans l'apprentissage des grands noms de la musique classique, qu'il connaîtra très vite sur le bout des doigts.

Virtuose, Jackie sort très peu, et passe beaucoup de temps à jouer du piano; aussi il adore écouter et reproduire ses idoles américaines, tels Ray Charles, John Patton, Jack Mc Duff ou Booker T.

A l'âge de 10 ans, il intègre un groupe, et à la fierté de sa famille, il monte pour la première fois sur scène. Jackie et ses amis sont très inspirés de la musique US. Ils reprennent nombre de classiques américains de R'n'B, et souhaitant aussi offrir une idée de la vibes jamaïcaine du moment, ils interprètent aussi de nombreux morceaux de "Rags", équivalent jamaïcain du Boogie Woogie, très à la mode à l'époque.

 

A la fin de son cycle d'école primaire, Jackie Mittoo se retrouve au Kingston College.

C'est là, aux côtés de Tyrone Downie et d'Augustus Pablo, avec qui il organise des Jam Sessions mémorables dans le parc de l'école, qu'il décide réellement de devenir musicien professionnel.

Pressé, ambitieux, et surtout remarqué, il ne passera pas bien longtemps au collège, et à 13 ans, il réalise son rêve. On le retrouve alors au sein de nombreux groupes, dont The Rivals, ou The Skeiks, et c'est à cette époque qu'il commence à  fréquenter le studio Federal, où travaille Clement Coxsone Dodd depuis 1959.

 

Un jour comme bien d'autres, alors qu'il n'avait que 14 ans, Jackie et ses amis était au studio Federal pour regarder une session de Delroy Wilson; ce jour marque un tournant dans la jeune carrière de Jackie. Le pianiste est absent ! et c'est à lui, que Coxsone demande de tenir le clavier pour le remplacer. Un bonheur ! Le jeune garçon ne se fait pas attendre et plutôt même bien entendre. Coxsone, impressionné par la virtuosité, lui offre sur-le-champ une place dans son équipe.

A partir de là, les deux hommes feront un bon bout de chemin ensemble.

 

Grâce à cette opportunité, Jackie se retrouve propulsé parmi la crème des musiciens de l'époque, dans une période débordante de créativité. La Jamaïque vient de fêter son indépendance, les instruments électriques font leur grande apparition, la Jamaïque est en train d'écrire son histoire musicale et de se forger une culture, c'est l'époque du ska qui se profile.

 

En 1963, quand Coxsone quitte le studio Federal pour ouvrir le Studio One au 13 Brentford Road, il entraîne avec lui ses musiciens fétiches, avec qui il créera des perles du ska. On retrouve alors au Studio One : Roland Alphonso, Tommy Mc Cook, Johnny "Dizzy" Moore, Lloyd Brevett et bien sur l'adolescent Jackie Mitto, les futurs Skatalites.

Pendant cette année 1963, le groupe accompagne les plus importantes figures de la chanson Jam, et figure sur la plupart des enregistrements de l'époque... Ils jouent, pour n'en citer que quelques-uns, avec les Maytals, Stranger Cole, Lord Creator, The Wailers, Jackie Opel, Delroy Wilson...

Ils sortiront des centaines de 45 T.

 

A l'époque des Skatalites n'existent pas encore, ce n'est qu'en 1964, lors d'un petit spectacle privé au théâtre Odeon que l'idée émerge. C'est le batteur Lloyd Knibbs qui lance l'idée de "Sattelites", puis Tommy Mc Cook qui lui répond : "on joue du ska, on est alors les Skatalites".

Quelques semaines plus tard, ils se produisent pour la première fois officiellement sous ce nom.

Des stars du ska sont nées, les portes du succès vont s'ouvrir à eux.

A l'époque, ils sont incontournables, ils jouent partout sur l'île, on les retrouve même au Grand Bal de la police en 1965 !

 

Lloyd Knibbs à la batterie, et Lloyd Brevett à la basse, forment la base musicale du groupe, et offrent un espace créatif énorme aux guitaristes Ernest Ranglin, Jah Jerry, Harold Mc Kenzie et au jeune clavier Jackie Mittoo, qui créent le skank et supportent les envolés des saxos de Tommy Mc Cook, Roland Alphonso et Lester Sterling, de la trompette de Johnny "Dizzy" Moore et du tromboniste Don Drummond. Que des légendes ! des pionniers ! des génies !

Peut être même "trop" pour un seul groupe, trop de caractères ! Les Skatalites ne tiendront pas plus de trois ans. Peut être que les rivalités entre Tommy Mc Cook et Roland Alphonso ont contribué au splitt du groupe, qui a aussi pris une sacrée claque lorsque Don Drummond, dans un élan de folie, tue son amie Margarita Mahfood et se retrouve incarcéré à l'hôpital Bellevue, où il mourra en 1969.

 

Quoiqu'il en soit, en 1967, Jackie n'a que 19 ans, et déjà un sacré bagage derrière lui. Il est allé à la meilleure école, a bien retenu les leçons; la carrière du jeune vétéran commence à décoller.

 

Il est le meilleur organiste de toute la Jamaïque. Depuis tout jeune il se frotte aux diverses influences, et auprès de ses aînés, il a appris à percevoir la musique différemment, à la sentir, à la décomposer, à la comprendre. Son génie sera de lui apporter de la fraîcheur; fraîcheur qui reste ancrée, aujourd'hui encore.

Malgré la rupture des Skatalites, la plupart des musiciens restent sous le joug de Coxsone Dodd qui forme un nouveau groupe de studio : The Soul Brothers, dirigé par Roland Alphonso et Jackie Mittoo qui écrit la musique. La pression est énorme à l'époque, d'autres studios sont en compétition avec Studio One, et le groupe doit composer au moins 5 riddims par semaines. Alphonso quitte la direction du groupe qui devient alors : The Soul Vendors. C'est l'époque du Rock Steady.

 

Mittoo est incontournable à Brentford Road, il est en quelques sortes l'orchestrateur de la période.

Musicien de talent, mais aussi arrangeur et directeur artistique, tous les chanteurs, musiciens et groupes de l'époque passeront par Studio One, là où la vibes du jeune Jackie Mittoo donne une âme à la musique.

C'est sous sa tutelle par exemple que The Heptones se forme et que le chanteur Leroy Sibbles apprend la basse. Il fait ses premières armes aux côtés de Mittoo au sein d'un trio de jazz.

Il a digéré toutes les influences musicales du ska au jazz, en passant par le blues ou le mento, il s'impose alors progressivement comme le bassiste officiel des Soul Vendors à Studio One.

En quelques mois il y crée quelques-unes des plus vibrantes lignes de basse du genre, reprisent tout au long de l'évolution du style : Real Rock, Drum Song, Swing Easy, Psychadelic Rock...

 

Au gré des refontes, The Soul Vendors deviennent The Sound Dimension, et les classiques ne cessent de sortir de l'usine de Brentford Road, marquant au plus profond l'histoire de la musique jamaïcaine.

D'ailleurs "Right Time" des Mighty Diamonds, considéré comme le premier morceaux de Rockers dans les 70's se base sur un riddim de l'époque, idem pour le "Bounty Hunter" de Barrington Levy, qui figure comme le premier Hit Dancehall, également pour bien des riddims modernes, et aussi parfois pour le rap, ou d'autres styles encore.

 

La nouvelle génération, dirigé par Jackie Mittoo a donné un nouvel élan à la musique, le tempo s'est ralenti et les sautillements de la basse sont de plus en plus prégnants; de leurs côtés les lyrics des chanteurs sont plus ouvertement culturels, et centrés sur la philosophie rastafari depuis la venue de Selassie I au pays en 1966. Nous sommes à l'aube de l'année 1968, le reggae pointe à l'horizon.

 

Certains diront que le premier disque de reggae est "Do The Reggay" des Maytals en août 1968; si c'est peut être le cas pour le nom du genre musical, il semble en fait que certains morceaux au tempo un peu plus rapide que le Rock Steady aient déjà préfiguré le style au cours de l'année 68.

Alors la paternité du nouveau genre se dispute. D'un côté il y a Harry J qui sort "No More Heartaches" des Beltones, et de l'autre on retrouve l'écurie Studio One qui sous la direction de Jackie Mittoo sort "Nanny Goat" de Larry Marshall, adossé au son d'orgue si particulier de Jackie. Bataille de clochers ! ! ! C'est un peu ça en effet.

 

Au début de l'année 1968, les 3 forces dominantes de la musique jamaïcaine sont Clement Coxsone Dodd, Prince Buster et Duke Reid : The Big Three (les 3 grands, le grand arbre) dont parle Marley dans "Small Axe".

Ils forment les fondations, et ont porté le style de la rue à son apogée; mais les jeunes de la nouvelle génération, pour la plupart venus des ghettos de Kingston, ont du mal à s'en sortir dans cette époque politiquement troublée, et où au niveau de la musique, de nombreux artistes ont aujourd'hui encore le souvenir d'arnaques mémorables.

Certains dont Marley, Perry, Tubby, Augustus Pablo choisiront d'essayer de couper le grand arbre, et de se lancer dans des productions underground, c'est là que le reggae naîtra vraiment, au plus profond de lui-même.

 

Au cours de l'année 1968, Jackie Mittoo préfère partir au Canada où vivent de nombreux Jamaïcains. Il ne rompra pas les ponts avec Coxsone, ni même avec Studio One pour qui il continuera à travailler jusquà la fin des années 80.

Mais à partir de là, il commence à prendre un peu le large. Il faut dire qu'il n'a que 20 ans et déjà 7 ans de carrière professionnelle non-stop derrière lui, il a besoin de travailler avec d'autres personnes parmi lesquels figureront Skengdon à Miami, Bunny Lee, ou Sugar Minott, qui nous rappelait qu'une des missions de cet homme étaient également de propager cette musique, cette vibes, d'étendre les fondations. Ainsi de nombreux groupes anglais dont Aswad, Steel Pulse ou Musical Youth passeront entre ses mains, et il recyclera au fil des années les standards de Studio One, pour qui il ressortira aussi différents albums.

 

Si Jackie Mittoo a beaucoup joué sur les albums des autres, il a aussi fait quelques chefs d'oeuvre en son nom propre.

Son premier disque en solo est "Ram Jam" en 1967, version revue du "Fatty Fatty" des Heptones qui fût censuré pour ses propos slackness. Même s'il sont très difficilement trouvables en 45 T, on retrouve une partie de ses singles de Studio 1 sur son premier album, "Evening Time" et sur "Tribute To Jackie Mittoo", aussi dans le fabuleux "The Keyboards King At Studio One" sorti récemment chez Universal Sond / Soul Jazz Records.

 

Après la grande époque Studio One, il devient un peu moins prolifique, mais toujours aussi brillant. Il enregistre 3 albums au Canada entre 1975 et 1978, "Let's Put It Together", "Jackie Mittoo" et "Reggae Music" (édité chez Studio One). En 1971, il emporte un grand succès avec "Wishbone" et sortira aussi de superbes productions chez Bunny Lee, on retrouve d'ailleurs les meilleurs d'entre eux dans le Sound & pressure 3. Un autre album de Jackie est particulièrement surprenant, "In Africa", enregistré avec des musiciens africains lors d'une tournée avec Musical Youth (Quartz Label).

Dresser une discographie de cet homme est chose très difficile tant il a contribué à la musique jamaïcaine, seulement quelques pistes sont présentées pour le découvrir. Cependant il ne faut pas oublier de citer un autre de ses chefs d'oeuvres, son dernier album, enregistré en 1990, l'année de sa mort, chez Lloyd Barnes au Studio Wackies à New York : "Wild Jockey".

 

Jackie Mittoo est mort du cancer en 1990, laissant derrière lui une somme de travail et de vibes considérable. Lorsque l'on demande aux artistes jamaïcains d'où viennent leurs influences, beaucoup d'entre eux citent le nom du célèbre organiste.

L'homme est une célébrité en Jamaïque, ses riddims sont devenus universels, et il fait partie du décor même si son corps n'y gît plus. A nous de réaliser en Europe, et en France en Particulier, que sa mémoire réside ici aussi, dans chacun des disques que nous jouons, il est une Foundation ! ! !

Publié dans Artistes

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